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Les accrocs du logiciel perso
Certes, ils sont de moins en moins nombreux. Mais les médecins mordus
d’informatique qui ont fait leurs propres applications, développent toujours.
À l’occasion des dix ans du site des Médecins auteurs de shareware et freeware
(MASEF)*, le Cahier Informatique et Web en a interrogé quelques-uns.
À l’heure où l’industrialisation du secteur semble bien avancée avec la
constitution de cohortes d’utilisateurs sous de grandes bannières, le village
gaulois de l’informatique médicale résiste. Il y a la hutte de Prolifix, le
médecin aux cent trente logiciels, le cabinet du Dr Applimix et de ses 1000
confrères, le quartier des développeurs Filofix… et bien sûr le grand chaudron
de Bernardix où l’on distribue les logiciels (un millier au catalogue) à tous
ceux qui en ont besoin (3,5 millions de visites en 10 ans). C’est qu’"il y
a des utilitaires que l’on ne trouvera jamais ailleurs car ils correspondent à
des niches, tant les besoins des médecins sont multiples et différents"
explique le Dr Gérald Bernardin, fondateur du "grand chaudron", le site
MASEF. Plus surprenant, il existe toujours des adeptes du logiciel perso qui "colle"
à leur façon de travailler. C’est ainsi que quelques logiciels faits maison
ont survécu à SESAM-Vitale (pour télétransmettre, on achète une solution du
commerce ou on prend un gratuit), aux normes d’échanges pas encore adoptées,
aux messageries sécurisées par CPS toujours pas obligatoires et au DMP qui
n’arrive pas. Et leurs utilisateurs en sont satisfaits.
Le goût du sur-mesure
"Qu’est-ce qui peut bien faire courir les médecins qui se lancent dans la
programmation et le développement d’outils logiciels?" se demandait déjà
le Cahier Informatique et Web le 19 avril 2000. Le constat est toujours le
même: ils programment par déception. Parce qu’ils ne trouvaient pas sur le
marché les solutions adaptées à leurs besoins. Par goût de l’indépendance
aussi.
Le cas Roger Remblain
"Personnellement, je trouve le prix des logiciels médicaux beaucoup trop
élevé, le système d’abonnement à renouveler tous les ans détestable et le fait
de payer pour faire de la télétransmission franchement anormal". La
démarche du Dr Roger Remblain, généraliste en zone rurale (28), est celle d’un
passionné par l’informatique (depuis sa classe de seconde) qui a finalement
préféré s’installer comme médecin. À son actif, plus de 130 logiciels
utilitaires dont la vedette est un aide-mémoire, Memdoc Pro, téléchargé 300
fois par mois, mis à jour et enrichi depuis onze ans (site:
http//landzone.free.fr).
La communauté FileMaker
Une communauté de médecins s’est formée autour de la base de données
FileMakerPro. On y trouve le Dr Fred Travers qui plutôt que de passer de
Médistory 2 à 3, a décidé de faire migrer ses données sous sa propre
application, Caducée (qui n’est pas à vendre). Il fait sa comptabilité, accède
à ses dossiers par Internet, etc. Mais, ajoute-t-il, "je comprends tout à
fait que mes confrères aient autre chose à faire pendant les vacances que
d’écrire des lignes de code… " Sur le même forum, s’exprime le Dr Charles
Cohn, chirurgien orthopédiste, qui s’est lancé fin 1999 dans le développement
d’Orthoconsult parce qu’il trouvait l’offre limitée, trop chère et mal adaptée
"Bien qu’ayant sans doute effectué des études de marché afin de cibler les
besoins des praticiens, ces logiciels sont trop lourds, peu ouverts, peu
évolutifs et correspondent plus à l’approche des informaticiens pur jus que
des praticiens". Il s’est même résolu depuis peu à le commercialiser
auprès de ses confrères, à prix "raisonnable" et après l’avoir réécrit
pour le rendre fiable et compact. "J’en suis à une dizaine d’acheteurs et à
800 démos téléchargées". Le Dr Cyril Chazelet, chirurgien viscéral, auteur
de Media-Surg et qui fait également partie du forum FileMaker, prépare une
version plus spécifique aux chirurgiens viscéraux. »
Les 1000 d'Applimed
Le Dr Pierre Elzière, généraliste, a toujours cherché à faire partager son
logiciel Applimed, développé sur dBase et dont la première version publique a
été mise en ligne en novembre 1998. "À l’époque, le prix des solutions
logicielles disponibles m’est apparu prohibitif au regard d’une ergonomie
médiocre". Depuis, plus de mille logiciels ont été téléchargés contre le
montant d’un C. Applimed, régulièrement amélioré et mis à jour, dispose de sa
liste de diffusion (200 abonnés) sur laquelle le Dr Elzière répond aux
questions. Les utilisateurs se félicitent du faible coût (l’abonnement aux
mises à jour est de deux C) mais surtout de la facilité d’emploi du logiciel
et du service (la solution est toujours trouvée dans les 48 heures). Avec ce
logiciel, disent-ils, nous sommes sûrs que notre éditeur ne sera pas racheté
par des actionnaires et que nos données sont facilement exportables… Face aux
incertaines évolutions de l’informatique médicale (DMP, normes, etc.), c’est
de l’aveu même du Dr Elzière, "une solution d’attente".
Quand ils ne programment pas eux-mêmes, certains médecins comme le Dr P.,
chirurgien à Paris, conçoivent les applications qui seront réalisées par un
développeur. "À chaque fois, cela correspondait à une nécessité générée par
la pratique professionnelle et pour laquelle je n’avais trouvé aucune solution
existante ou satisfaisante", explique le Dr P. Et d’ajouter qu’"un
logiciel très personnalisé répond plus finement à la pratique de son
utilisateur et rend un meilleur service".
Il faut enfin citer les efforts du Dr Gérard Delafond pour diffuser le seul
logiciel métier sous Linux, Med’InTux.
Baisse de régime
Le Dr Bernardin constate cependant, depuis deux ans, une baisse de régime du
site MASEF. La production a fortement ralenti, les mises à jour se font plus
rares, la moitié de la centaine de médecins répertoriés n’est plus active.
Gérald Bernardin met cette désaffection sur le compte, d’une part des
difficultés croissantes de la programmation avec des outils plus lourds à
mettre en place et d’autre part, de l’attractivité d’Internet. "Il y a
tellement à faire sur le Web que les médecins les plus passionnés animent des
blogs ou des sites, et le temps libre n’est pas extensible". Lui-même en
sait quelque chose puisqu’il se consacre beaucoup à son site Web sur la BD
médicale et n’a pas mis à jour son aide-mémoire Médimento, en tête du
hit-parade MASEF avec 85 000 téléchargements, depuis trois ans…
Par ailleurs les logiciels maisons présentent certains inconvénients. Il faut
trouver une solution extérieure pour la télétransmission et on ne peut y
intégrer les bases de données de médicaments pour sécuriser la prescription.
Le Dr Elzière convient que le modèle de développement d’Applimed, celui des
applications médicales autonomes, "est aujourd’hui dépassé. L’heure est à
l’informatique communicante et à la normalisation, même si celles-ci se font
toujours attendre". Ce qui ne l’empêche pas de continuer à améliorer
Applimed dans les limites de l’outil dBase.
À noter, par leur faible coût, ces produits ont essaimé dans les pays
francophones. DMi, le dossier médical informatisé du Dr Remblain, sert dans de
nombreux services hospitaliers en Algérie, Maroc, Tunisie et Afrique
francophone. Un quart des utilisateurs d’Applimed se situent hors de France.
Quel avenir?
"J’espère qu’il y aura toujours de la place pour des passionnés dans mon
genre, souligne le Dr Remblain, Le logiciel sera particulièrement bien adapté.
Les améliorations en fonction des souhaits des utilisateurs plus rapidement
apportées".
"Je vois beaucoup d’avenir dans le développement de petites applications
sur mesure pour des professionnels, et surtout pour les médecins qui se
plaignent de la paperasserie", insiste le Dr P.
"J’espère qu’il y aura toujours des médecins pour développer de tels
produits", renchérit le Dr Charles Cohn, "nous sommes au quotidien sur
le terrain et donc les mieux placés pour savoir à quoi doit ressembler un
logiciel médical".
Marie-Françoise de Pange
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